Alcoolique, son fils a été sauvé par le baclofène

Anaïs Dariot s’est battue des années au côté de Nathanaël, subissant les crises, les violences, les hospitalisations d’urgence. Elle raconte ces années d’enfer.

À l’époque où le cauchemar a commencé, impossible pour Anaïs Dariot de se confier à qui que ce soit, « L’alcoolisme, c’est trop entaché de honte. » Elle a tenu un journal, celui de la chute vertigineuse de son fils. Cette coquette femme de 58 ans, toute frêle dans son perfecto vert, se souvient du jour où elle a commencé à écrire. C’était à l’issue d’une scène terrible, lors de laquelle Nathanaël a failli tuer une de ses connaissances.

Cette comédienne de théâtre se remémore le jour où elle s’est rendu compte qu’il était alcoolique. Il avait 19 ans. « Une nuit, il a surgi au pied de mon lit, complètement saoul. » Son fils n’a pas les mêmes souvenirs. « En lisant le livre, il s’est écrié : «Mais maman, lorsque j’allais chez papa, ado, tu pleurais parce que j’avais bu !» » Non, elle n’avait rien vu. « J’étais sans doute dans le déni. »

« Maman, fais-moi soigner »

Nathanaël, qui vient de quitter le lycée sans le bac, travaillé alors chez un kiosquier. Pendant quelques années encore, il fait illusion. « Puis il a arrêté de se cacher. Il a perdu son travail. Ça a été le point de départ d’un réel décrochage. Deux années in-
fernales où je n’arrêtais pas de l’engueuler. Puis quelqu’un m’a dit qu’il était malade, que je devais l’aider à se soigner. »

Commence la ronde des hospitalisations, des psys, des alcoologues. Nathanaël est conscient de ses pulsions destructrices. « C’était : «Maman, fais-moi soigner.» Et puis, ça recommençait. » L’appartement dévasté, la violence, la déchéance physique… La remarque d’un proche brise le cercle infernal. « C’était un artiste, brillant, qui s’était beaucoup drogué. Il m’a dit : «Tu vas le garder combien de temps au chaud comme ça, à tout payer pour lui ? Tu ne l’aides pas. Il faut que sa guéri-
son passe par lui.»
»

Choquée, Anaïs Dariot cesse pourtant de se battre pour son fils. « J’ai parfois dû le mettre à la porte de chez moi. Je savais que le risque était énorme, que je pouvais le perdre. Il disparaissait pendant de longues périodes. À un moment, j’ai même cru qu’il était mort. Je continuais à bosser et à vivre. Mais j’étais comme une coque vide.

Pendant ces années d’enfer, elle culpabilise, cherche les raisons qui ont métamorphosé son adorable petit garçon. « Lui qui, enfant, avait une peur phobique de l’alcool, hurlait à la vue d’un verre… Plus tard, les médecins m’ont fait prendre conscience que cela aurait dû m’alerter. »

Car Nathanaël a été élevé dans une famille où l’alcool et la violence font la loi. Anaïs Dariot le reconnaît, elle aussi a bu. « Jeune, je buvais jusqu’à perdre connaissance. Mon père, représentant, s’alcoolisait dans le cadre de son travail. Je viens d’un milieu où l’on n’avait aucune considération pour moi. J’ai voulu mon
fils pour exister. »

Mais son mari est lui aussi un homme instable. « Si j’avais rencontré quelqu’un de sobre… J’ai rencontré un alcoolique. » La mère de ce dernier est morte d’une  cirrhose. Le couple tient une entreprise d’aviculture, en région parisienne. Il la bat, elle le quitte au bout de douze ans travaille dans l’immobilier, parvient seule à arrêter de boire. « J’ai élevé mon fils avec soin. »

En évoquant ce douloureux parcours, Anaïs Dariot étouffe parfois un sanglot. Pourtant, cette femme qui paraît si fragile a tenu bon. « J’allais dans des réunions d’entourage, aux Alcooliques anonymes. Pourtant, j’étais sûre que ça allait se terminer par la mort. La sienne, et donc la mienne. »

« Addictif comme l’héroïne »

Enfin, un jour, il y a cinq ans, l’espoir. Il a pour nom baclofène. À l’origine, un relaxant musculaire, utilisé pour traiter, l’alcoolodépendance. « Au bout d’un mois de traitement, Nathanaël avait quasiment arrêté de boire. » Mais le médicament suscite des polémiques, en raison notamment de ses effets secondaires. Il ne bénéficie que d’une recommandation temporaire d’utilisation et, depuis juillet, les médecins n’ont plus eu le droit de le prescrire qu’en quantités limitées. « Je sais que ce médicament ne marche pas sur tout le monde.Qu’on se pose la question du bénéfice-risque. Pour mon fils, elle ne se pose pas. Le baclofène le fatigue, mais s’il l’arrête, il recommence à boire ! L’alcool est aussi addictif que l’héroïne. On ne remettrait pas en cause son produit de substitution, la méthadone ! »

Tout ce que cette mère voit, c’est que son fils, qui était à la rue, a cessé de boire. Âgé de 36 ans, il travaille à nouveau, fait du sport. « Il m’a dit : «Tu sais maman, je veux vivre vieux.» »

Florence PITARD.  Nathanaël, Pygmalion, 185 pages, 19,90 €   (article Ouest-France 26/11/2017)