Parents alcoolo-dépendants: les ravages d’un tabou

Parents alcoolo

L’alcoolisme est-il héréditaire? Pour les enfants d’alcoolo-dépendants, exposés dès le plus jeune âge, le rapport à l’alcool est altéré, entre crainte et fragilité.

«Pour les autres, l’alcool, c’est la fête et la convivialité. Mais pour moi, c’est avant tout mon père, ses dérives, ses coups, nos fêlures.» À 27 ans, Ivan n’a jamais touché à un verre de sa vie. Pourtant, l’alcool a côtoyé son quotidien pendant deux décennies, avec un père dépendant. «Je n’ai pas souvenir de deux jours d’affilée où il était sobre», souffle-t-il. Dès 8 ans, Ivan se fait alors une promesse: lui ne boira jamais. «Je refuse simplement de devenir cette plaie pour les autres, assène-t-il comme une évidence. Sur les paquets de clopes, on indique que fumer tue, mais au moins cela a la décence de vous tuer seulement vous. L’alcool, ce sont vos proches que ça ravage.»

Côtoyer un parent alcoolique dans son enfance modifie profondément les rapports à la boisson. «Chez ces personnes, on retrouve deux tendances inverses: beaucoup sont totalement abstinents, et beaucoup d’autres consomment au contraire plus que la moyenne», pose Philippe Batel, addictologue et co-président de SOS Addictions. Son langage direct et son expertise font de lui une des références françaises en alcoologie. Le cas d’Ivan est à ses yeux loin d’être une exception: «Entre 16 et 20 ans, la première cause d’abstinence volontaire est le fait d’avoir eu un parent alcoolo-dépendant», détaille le médecin.

«Il me l’a transmise, comme une maladie incurable, dont on craint qu’elle se réveille un jour»

Pourtant, cette résolution se heurte souvent à un environnement incitatif. «Quand on est jeune, la pression sociale est extrêmement forte», regrette Chloé, étudiante en médecine de 24 ans. Alors qu’au lycée, elle refusait de boire, par crainte de suivre le chemin de son père alcoolo-dépendant, elle énumère désormais les soirées étudiantes, les fêtes et les bars entre amis. «Tout devient vite motif à boire, et à boire trop…»

Aujourd’hui, si elle considère ne pas prendre plus d’alcool que n’importe quel autre jeune de son âge, elle s’impose quelques garde-fous: ne jamais boire seule, et ne jamais consommer deux jours de suite. «Même si je me la cache, même si je souhaiterais être normale et décomplexée, j’ai conscience qu’il y a cette faiblesse en moi. Il me l’a transmise, comme une maladie incurable, dont on craint qu’elle se réveille un jour.»

Une transmission génétique

Peut-on hériter de l’alcoolisme comme Chloé le redoute? «Il n’y a pas de gène seul responsable, réfute d’entrée Philippe Batel. Mais il peut exister une pré-détermination génétique. Entre un parent alcoolique et son enfant, si on s’intéresse aux différentes manières dont va se transmettre la dépendance, la part du génétique par rapport aux autres facteurs (environnement, mimétisme comportemental) est de 45 %. Pour résumer, on va avoir un héritage émotionnel et sensoriel de la consommation d’alcool. Les personnes ayant eu un parent alcoolo-dépendant se souviendront beaucoup plus des effets positifs que négatifs le lendemain d’une soirée par exemple, et auront une satiété altérée: à une même quantité d’alcool consommée, ils recevront moins l’information qu’ils ont assez bu que des personnes lambda, et ressentiront les effets de l’ivresse avec moins d’intensité. Ces facteurs peuvent naturellement amener à boire plus.»