Témoignage : « L’alcool m’aidait à avoir l’air cool et rebelle »

Une longue chevelure noire et épaisse, des yeux clairs, une peau diaphane, une silhouette athlétique… À bientôt 40 ans, Claire Touzard ne passe pas inaperçue. « Je présente bien », écrit-elle. On peine à croire qu’elle a pu être cette « pochtronne » qu’elle évoque dans son livre, sans rien cacher de ses frasques. « Vous ne pourriez le deviner, j’avance masquée », écrit-elle encore.

Claire Touzard a tombé le masque. Elle révèle aujourd’hui ce que tout le monde, dans son entourage, savait déjà. Elle est alcoolique. Ou plutôt « était ». Elle a arrêté l’alcool le 31 décembre 2019, après une énième soirée de beuverie, quand elle a vu dans le regard de son nouvel amoureux l’image de ce qu’elle était devenue, « la beurrée, la barrique ».

Claire Touzard . Journaliste . Auteure du livre  » le jour ou j’ai arrêté de boire  » . Photo Daniel Fouray .

Un an plus tard, elle raconte cette nuit d’ivresse dans le salon de son appartement parisien où elle vient d’emménager avec Alexandre. « Quand j’ai vu ses yeux sur moi, ce soir-là, je me suis dit : « Es-tu prête à perdre cette personne ? » J’avais foutu en l’air tellement d’amitiés à cause de l’alcool. Il était hors de question de le perdre lui. Il y a eu un déclic. Mais ça faisait longtemps que je savais qu’il y avait un problème. Je buvais seule, de plus en plus. »

« En France, tout le monde boit »

Il faut se méfier des apparences. À l’époque, Claire Touzard est une journaliste en vue, rédactrice en chef d’un magazine branché, Grazia Hommes. Après une formation en journalisme à Rennes, elle a enchaîné les jobs à France Inter, Canal +, Paris Première, Libération, GQ… Un milieu cool et intello où l’on a le sens de la fête. Où l’on assène des vérités qu’on croit géniales en sirotant des grands crus.

Alcoolisme ? Sûrement pas. Éthylisme mondain, au pire. Rien à voir avec « ce type sans dents et sans emploi, qui carbure au pastis dès 10 h du matin au PMU ». Vraiment ? Un peu de lucidité : « Nous buvons pour les mêmes raisons et les dégâts physiques sont similaires. Le vin n’est ni plus gai ni moins dangereux parce qu’il est mieux sapé, plus cher, dans des meilleurs verres. »

Claire Touzard a grandi près de Morlaix, dans le Finistère. C’est là-bas qu’elle a « appris » à boire sans modération, à 16 ans. « À l’adolescence, les amitiés se nouent très vite autour de l’alcool. Au lycée, on sortait beaucoup, on buvait énormément, jus-
qu’à se rouler par terre. C’était une sorte de concours de l’excès. Pour sortir de l’ennui peut-être. »

Elle a compris, depuis, que l’alcool n’était pour elle qu’une sorte d’élixir d’immunité dans lequel elle croyait pouvoir dissoudre son mal-être. « Quand on est ado, l’alcool  fait partie des armes qu’on a à sa disposition pour avoir l’air un peu plus fort, plus audacieux. Je suis très timide, l’alcool m’a beaucoup aidée socialement, il m’aidait à avoir l’air cool et rebelle. »

La fêtarde invétérée qu’elle est alors se trouve des excuses pour continuer à se « mettre minable ». « Je confondais l’alcool avec l’émancipation. » Elle se raconte des histoires en pensant que boire est un « geste politique, un pied de nez au statut de femme trop lisse que l’on m’obligeait à tenir ». Balivernes. L’alcool, constate-t-elle, ne fait que renforcer la fragilité physique des femmes et la domination des hommes.

Mais pourquoi se priver d’un petit remontant quand la société tout entière nous y encourage ? « En France, tout le monde boit, c’est une norme sociale. » Pire : on pardonnerait beaucoup aux gens bourrés. « L’ivresse n’est pas un défaut, c’est une excuse nationale au manque de civilité. »

La faute aux lobbies du vin. Mais aussi à notre héritage culturel. « La France, c’est Gainsbourg, La Grande bouffe. Nous sommes une patrie épicurienne tournée vers les plaisirs de la table. Refuser un verre, c’est vu comme un rejet de cette culture. »
Claire Touzard l’a compris quand elle est sortie des brumes de l’alcool. Pour y voir clair, il lui a fallu la compagnie de cet homme, Alexandre, lui-même ancien alcoolique. Il lui a montré qu’on peut avoir la sobriété heureuse, que l’on peut être cooi, moderne et drôle sans la boisson. Quand elle a arrêté de boire, Claire Touzard craignait de « devenir chiante », d’être exclue de la fête. Tout le contraire. « Je n’ai jamais été aussi drôle que depuis que je ne bois plus. » Dans son appartement, il n’y a plus une seule goutte d’alcool. Quand les copains déboulent à l’heure de l’apéro, on trinque au kombucha, un thé fermenté. « Je n’achète pas d’alcool, mais je ne leur interdis pas de boire s’ils veulent venir avec une bouteille. En général, ils s’en passent. Ils voient qu’on peut passer une bonne soirée sans alcool. »

Claire Touzard a fait une pause dans sa vie. Elle a été licenciée sans ménagement du dernier magazine où elle travaillait, preuve que le sens de la fête ne mène pas bien loin. Aujourd’hui, elle élève son bébé. Et s’offre de grandes balades en forêt ou en bord de mer avec ses copines. « Avant, quand on se retrouvait,
c’était pour prendre l’apéro. »

Texte : Thierry RICHARD.

Photo : Daniel FOURAY.

Sans alcool, Claire Touzard, Flamma-
rion, 333 pages, 19,90 €.